Discours
prononcé en novembre 2013 par Patrice Tillaut, Chevalier de l'ONM à l'occasion de la
remise de la médaille de l'Ordre National du Mérite à Nelly Daviaud par Patrick
Rimbert Maire de Nantes...
Chère
Nelly Daviaud, C'est au nom de vos admirateurs et amis et avec un
immense plaisir que je vous adresse ce compliment à l'occasion de
votre nomination à l'Ordre National du Mérite. Créé par le
Général De Gaulle il y a plus de cinquante ans, cette prestigieuse
récompense honore des hommes et des femmes qui se sont distingués
par des actions remarquables inscrites dans la durée. Et la durée,
ici on peut la saluer. Cinquante quatre années que, pour notre plus
grande joie, vous vous consacrez à votre passion« le théâtre ».
Oh je vois bien les plus farceurs d'entre nous faire de rapides
calculs pour déjouer les apparences, A quoi bon? puisque, nous le
savons tous, le comédien n'a que l'âge de son personnage. A 15 ans
vous êtes repérée par un personnage nantais, que les moins de 50
ne peuvent pas connaître : Mr Aimé Delme, personnage haut en
couleur s'il en fut, grand chef d'orchestre de toutes les festivités
nantaises. Vous entrez dans sa troupe, qui jouait à l'époque 300
fois par an. Dans le même temps, vous entrez au Conservatoire où
votre talent et votre énergie trouvent là tout l'espace pour
s'affirmer. Si bien qu'à 20 ans à peine, vous décrochez un Premier
Prix de Comédie et vous créez votre propre Compagnie. Les portes du
Répertoire vous sont grandes ouvertes. Parallèlement, et pendant
quelques temps vous jouez les classiques : l ' Avare, les Femmes
savantes, le Misanthrope, le Malade imaginaire ainsi que Phèdre de
Racine, avec la Compagnie du Jeu de Paume. Mais comme on revient
toujours à ses premières amours, vous revenez à la Comédie de
Boulevard qui est votre véritable passion. Le Challenge est osé,
car, si pour les grands classiques, le métier et le travail ajouté
aux textes sublimes font le succès, pour le Boulevard, dont les
intrigues sont plus légères, il faut à coup sûr ajouter au métier
et au travail: le talent. La plume de
l'auteur fait venir le spectateur, le jeu de l'acteur le fait
revenir. Tous les gens de la scène vous le diront, il est plus aisé
de faire pleurer que de faire rire. Vous excellez dans l'exercice.
C'est le succès, le bonheur même, jusqu'à ce
jour de 1987 où le destin vous arracha votre mari et complice Michel
Morio. Comme seuls les grands de la scène réussissent à le faire,
vous cachez vos larmes et le spectacle continue, pour Michel, pour
vous, pour votre Public. Au cours de votre carrière, vous ferez des
rencontres extraordinaires : des acteurs, des génies, des amis,
certains sont les trois à la fois, je pense en particulier à deux
d'entre eux: Jacqueline et Joël Cassard. Je pourrais citer de la
même manière toute votre équipe d'acteurs et de techniciens. Votre
complicité sur les planches et votre amitié dans la ville, c'est
quelque chose ! De
vous à moi, il n'ont pas de mérite, car c'est facile d'être votre
ami! La plupart des acteurs font du théâtre, vous, vous vivez le
théâtre. Vos maîtres sont: Louis Jouvet, Sara Bernhard, Jacqueline
Maillan, Maria Pacôme... Vous avez une telle admiration pour eux que
vous finissez par leur ressembler, vous avez naturellement cette
classe et cette grâce, dont seuls quelques acteurs ont été
pourvus. Moi qui ne suis pas du théâtre, j'ai toujours cru que le
fameux trac des acteurs se dissipait au fil des ans, jusqu'au jour
oùje vous ai entendu dire : « c'est terrible, plus ça va plus j'ai
le trac, je suis noué », Ce sont vos mots.
J'ai compris depuis
pourquoi : Comme le perchiste, qui de compétition en compétition,
monte la barre de centimètre en centimètre, vous Nelly, de
représentation en représentation, vous montez le jeu de cran en
cran, avec la crainte, pourtant inutile, de ne pas y parvenir. C'est
sans doute pour cette même raison qu'un jour, répondant à une
jeune starlette, qui se vantait de n'avoir jamais le trac, le grand
Louis Jouvet lui
dit avec toute la puissance de sa voix« vous
verrez mon Pt' it, ça viendra, ... quand vous aurez du talent! ».
Lorsque je vois arriver dans le hall de la Salle Vass, pour des
séances dédiées, des aînés, parfois ... très aînés, avec
leurs petites et grandes misères de rhumatisme, d'arthrose, de
tristesse, de solitude, enfin toutes les misères de l'âge, et
qu'ensuite je les vois rire de si bon cœur et repartir si joyeux, esquissant même dans le hall avec leur canne un pas de danse ou
un début de cabriole dont Joël Cassard à le secret, et que
l'arthrose a laissé la place à une joyeuse irritation des
zygomatiques, je me dis que la « comédithérapie » comme vous la
pratiquez, devrait être reconnue par la Faculté. Mademoiselle Nelly
Daviaud, car on dit bien « mademoiselle» au théâtre n'est ce pas?
ou tout simplement Chère Nelly, Ces cinquante quatre années, vous
nous avez donné beaucoup de plaisir, beaucoup de joies, beaucoup de bonheur, eh bien nous en voulons encore, beaucoup et très
longtemps! Patrice Tillaut